
NDONG MBOULA, SIMA MBOULA, Alexis ABESSOLO… Trois grandes figures de la scène musicale gabonaise, trois voix inoubliables qui, en l’espace de quelques mois, ont été réduites au silence par la maladie. Une triste coïncidence ? Ou bien un signe de l’injustice qui frappe, sans crier gare, les artistes du Gabon ? Si, pour certains, il semble encore difficile d’admettre que ces maîtres de la musique soient en proie à une telle fragilité, il est en revanche incontestable que cette situation met en lumière une vérité bien plus pernicieuse : l’absence de structure véritablement protectrice pour les artistes gabonais.
L’État, comme pour répondre à la montée de l’inquiétude, a réagi, certes. Visites hospitalières, déclarations officielles de soutien, quelques promesses. Mais, hélas, la réactivité institutionnelle, aussi louable soit-elle, ne saurait suffire face à l'ampleur du problème. Il ne suffit pas de réagir au chagrin d'un peuple ou de plaider pour la bonne santé des artistes en moment de crise. Ce qui manque avant tout, c’est une véritable infrastructure juridique et sociale capable de garantir une sécurité à ces créateurs avant qu’ils ne tombent malades.
Et, pour l’heure, force est de constater qu’aucune telle garantie n’existe.
Loin de l’image mythifiée de l’artiste flottant dans une mer de célébrité, l’artiste gabonais est avant tout un homme ou une femme confronté aux réalités de l’existence : des revenus précaires, une couverture sociale inexistante, une retraite incertaine, et des conditions de travail souvent loin d’être idéales. C’est dans ce contexte que l’artiste, malgré son talent et son dévouement, voit son corps et sa santé mis à mal, faute de soutien structurel. Il ne s’agit pas seulement de célébrer son génie une fois qu’il est sur scène, mais de lui assurer un cadre de vie qui lui permette de prospérer dans la durée. Et ce cadre, pour l’heure, est inexistant.
Ainsi, lorsque ces figures emblématiques de la musique du Woleu-Ntem succombent aux aléas de la maladie, l’indignation ne doit pas se limiter à des déclarations d’intentions. Elle doit se traduire par une réflexion collective sur le statut de l’artiste gabonais, sur les mécanismes de soutien dont il doit bénéficier, et sur l’importance de lui offrir une sécurisation financière et sanitaire digne de ce nom. Car comment un homme, fût-il un artiste talentueux, peut-il faire face aux affres de la maladie lorsqu’il n’a même pas les moyens élémentaires de s’offrir une alimentation saine et un suivi médical adapté ? Comment, dans ces conditions, peut-il maintenir sa créativité et sa production artistique à son meilleur niveau ?

Le véritable enjeu n’est donc pas seulement de réagir lorsqu’un artiste tombe malade, mais d’anticiper. D’assurer une protection sociale adaptée, d’encadrer l’activité artistique par un véritable statut juridique qui permette à l’artiste de se consacrer pleinement à son art sans être constamment vulnérable aux contingences économiques et sociales.
Les « soutiens » étatiques sont appréciables, certes, mais sont-ils suffisants ? N’est-il pas plus urgent de se demander pourquoi un artiste de renom se retrouve à lutter non seulement contre la maladie, mais aussi contre un système qui le marginalise dès qu’il cesse d’être une icône ? Pourquoi, à la veille de leur retraite, certains artistes sont-ils toujours en proie à la précarité, malgré une carrière brillante et un apport incontestable à la culture nationale ?
La situation actuelle n’est en réalité qu’un symptôme d’une crise bien plus profonde. Elle révèle la négligence envers ceux qui sont censés incarner la richesse culturelle du pays, et démontre à quel point l’État, malgré de louables intentions, n’a toujours pas su prendre la mesure de ses responsabilités envers ses artistes. Et ce n’est pas en réagissant au dernier moment, après le coup dur, que l’on répare des décennies de négligence. Non, ce qu’il faut, c’est une transformation structurelle du statut de l’artiste gabonais, un respect des droits fondamentaux de ces hommes et ces femmes qui, à travers leur art, font vivre l’âme même de notre culture.
Tant que cette question fondamentale du statut juridique de l’artiste ne sera pas résolue, les catastrophes à venir ne feront que s’ajouter à une longue liste de défaillances collectives. Et lorsque la musique du Woleu-Ntem, aujourd’hui orpheline de ses géants, se sera éteinte, peut-être alors que l’on se souviendra de ces noms qui, au lieu d’être honorés, ont été laissés dans l’oubli de la précarité.
@Pour La Une Woleuntemoise

NGOUA GROSJEAN Steeve Arnold
Expert en communication, diplômé en sciences de la communication et du langage. Passionné par le web journalisme, je crois en la puissance du numérique pour informer et analyser avec précision.
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